Les Fenêtres qui parlent
Atoll - Art Actuel, Ville de Victoriaville
Victoriaville, Québec
Les fenêtres qui parlent est un jumelage entre artistes et citoyens qui transforme les fenêtres et les balcons des maisons d’une rue en espace d’exposition artistique le temps d’un instant. Ce projet nous invitent à porter un regard nouveau sur l'espace urbain et à créer un espace de dialogue entre l'intérieur et l'extérieur par l'entremise d'un contexte insolite d'exposition.
Corde à linge, 2022
Ce projet est la rencontre entre le banal et l’original, le commun et l’inusité. C’est un projet conceptuel rempli de dualités. Il est composé de serviettes et de torchons étendus sur une corde à linge afin de sécher, mais sans avoir été lavé. Ces morceaux de tissus sont usés, troués, tachés d’huile et de couleurs de peinture. Loin de l’idée habituelle que l’on a des vêtements propres et parfumés disposés sur une corde à linge. Il y a ici quelque chose d’étrange, d’inaccoutumé et qui nous interroge sur la propreté, aujourd’hui considérée comme une valeur essentielle de la vie domestique.
Dans ce projet, le drap devient un symbole de maternité et de douceur, incarnant l’image d’une mère attentive et aimante. Il représente celle qui accomplit les gestes du soin domestique, tels que le lavage et la préparation du lit, laissant sur les tissus l’empreinte olfactive de son parfum. Suspendu sur la corde à linge pour sécher, il se transforme en un espace de mémoire, évoquant les jeux d’enfance où traverser les tissus pendus offrait à la fois une exploration et une protection, un moment de pureté et d’innocence. Ces étoffes rappellent également le linge de cuisine et les rituels autour du bain, liés aux tâches domestiques et aux moments partagés en famille. Ainsi, cet objet familier se manifeste comme un archétype de la figure maternelle, un pilier de réconfort et un espace d’intimité profondément ancré dans le foyer.
Avec le temps, ces textiles autrefois immaculés se parent de traces et de marques indélébiles, symbolisant l’impermanence et la transformation. Les projections idéalisées de l’enfance et de la jeunesse s’altèrent sous le poids de la réalité adulte, où la maladie et la mortalité deviennent des contingences inévitables. Cette altération est d’autant plus significative dans un contexte personnel : l’emblème de ce projet, ma propre mère, a été touchée par la maladie, modifiant profondément la dynamique de la vie domestique. Les draps souillés, usés et parfois transparents représentent la dégradation inévitable du corps et du quotidien, la matérialisation d’une transformation qui s’impose. Cette transparence, visible malgré les tentatives d’opacité, révèle le changement du regard des autres, car la maladie finit par redéfinir le corps lui-même. Elle altère l’apparence jusqu’à ce que l’on incarne la maladie malgré soi, malgré les efforts pour conserver une identité distincte. Ces tissus marqués et fragilisés deviennent une métaphore des épreuves de l’existence, inscrivant dans la matière l’expérience de la finitude humaine.
Bien que l’exposition soit achevée, les réflexions autour de ce projet continuent de m’habiter. Le drap, symbole de protection et de mémoire, reste pour moi un vecteur puissant de questionnement sur la fragilité et l’impermanence. Je poursuis cette exploration en accrochant des tissus dans divers lieux extérieurs où ils sont exposés aux éléments, marqués par le passage du temps et l’usure. Cette démarche se traduit par une accumulation progressive de photographies et de textiles altérés, témoins de la transformation de la matière. En prolongeant le projet au-delà des murs de l’exposition, je cherche à capter l’évolution de ces symboles de douceur et d’innocence, maintenant marqués par la réalité et le déclin, pour inscrire de manière tangible la transition entre l’intimité du foyer et l’exposition aux aléas de la vie.